Gestion du risque pénal et administratif lié au travail illégal

Définition du travail illégal

Le travail illégal recouvre :

  • L’emploi de salariés non déclarés ;
  • Le prêt illicite de main-d’œuvre ;
  • Le cumul irrégulier d’emplois ;
  • L’emploi irrégulier de travailleurs étrangers (sans titre de travail) ;
  • La fausse déclaration pour obtenir des revenus de remplacement.

Solidarité financière du donneur d’ordre en matière de travail dissimulé

L’entreprise donneur d’ordre doit, en cas de sous-traitance, s’assurer que son sous-traitant respecte bien ses obligations sociales à savoir : déclaration d’activité et d’emploi salarié, paiement des cotisations et contributions sociales.
En effet, il doit solliciter une attestation de vigilance dès que le contrat dépasse 5 000 € HT.
En l’absence de celle-ci ou en cas d’inexactitude, le donneur d’ordre peut être jugé complice de travail dissimulé et se voir condamné à payer les cotisations sociales de son sous-traitant.
Or, toute personne qui a recours direct ou indirect au travail dissimulé, est tenue solidairement avec la personne condamnée :

  • au paiement des impôts et cotisations obligatoires, des pénalités et majorations dus au Trésor public ou aux organismes de protection sociale ;
  • au remboursement des aides publiques ;
  • au paiement des rémunérations, indemnités et charges dues pour l’emploi de salariés.

Si pluralité de donneurs d’ordre, le chiffrage peut être proratisé soit au réel, soit en pourcentage de la masse salariale dissimulée ou du chiffre d’affaires réalisé par les salariés dissimulés.

Détachement, vigilance et responsabilité solidaire

L’obligation de vigilance est étendue aux prestations réalisées par un cocontractant établi ou domicilié à l’étranger.
Le cocontractant étranger doit fournir :

  • son numéro de TVA intracommunautaire (ou, un document mentionnant son identité et son adresse ou les coordonnées de son représentant fiscal ponctuel en France) ;
  • un document attestant de la régularité de sa situation en matière de sécurité sociale (selon le pays de domiciliation).

Sanctions encourues

L’employeur encourt de lourdes sanctions tant pénales qu’administratives, qui peuvent se cumuler ou s’appliquer indépendamment.

Sanctions administratives

Les employeurs ayant fait l’objet d’un procès-verbal relevant une infraction de travail illégal sont passibles des sanctions administratives suivantes :

  • suppression des aides publiques (exonération de charges sociales, aides attachées au contrat d’apprentissage), pendant 5 ans ;
  • remboursement des aides publiques déjà perçues ;
  • exclusion des contrats publics ;
  • fermeture administrative temporaire (de 3 mois maximum), engagée par le préfet (ou le préfet de police à Paris), assortie éventuellement d’une saisie du matériel professionnel.

Si détachement de salariés et de manquement à leurs obligations, l’employeur établi à l’étranger et le donneur d’ordre (ou le maître d’ouvrage) sont passibles d’une amende administrative de 2 000 € par salarié détaché (ou 4 000 € en cas de récidive) pour un montant total plafonné à 10 000 €.
Les sanctions administratives sont indépendantes des suites données par l’autorité judiciaire au procès-verbal pour travail illégal et peuvent donc intervenir même en cas de classement sans suite.
En cas de constat de travail dissimulé, le calcul du montant du redressement de cotisations sociales est effectué sur la base forfaitaire de 9 654 €, correspondant à 25 % du plafond annuel de la Sécurité sociale.
Sauf à apporter la preuve contraire concernant la durée effective d’emploi et le niveau de la rémunération effectivement versée, l’évaluation est forfaitaire.

Il est donc essentiel de se faire conseiller afin de solliciter un examen contradictoire de votre situation par l’administration, sauf à risquer une lourde sanction pécuniaire.

La mesure administrative de fermeture peut être notamment contestée devant le Tribunal Administratif dans le cadre d’une procédure d’urgence, le référé-liberté :

Aux termes de l’article L521-2 du Code de justice administrative

« Saisi d’une demande en ce sens justifiée par l’urgence, le juge des référés peut ordonner toutes mesures nécessaires à la sauvegarde d’une liberté fondamentale à laquelle une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d’un service public aurait porté, dans l’exercice d’un de ses pouvoirs, une atteinte grave et manifestement illégale. Le juge des référés se prononce dans un délai de quarante-huit heures ».
Dans un arrêt très remarqué en date du 9 mai 2014 concernant la fermeture administrative pour une durée de 15 jours d’un commerce de boucherie, le Conseil d’Etat a caractérisé l’urgence notamment par l’impact sur le chiffre d’affaire qui mettait en péril la société ainsi que les charges fixes auxquelles elle devait faire face, en particulier s’agissant du salaire des employés :

« Considérant qu’il résulte de l’instruction, et notamment des documents comptables fournis tant en première instance qu’en appel, que le commerce de boucherie exploité par l’EURL La Corne de Bélier connaît une situation financière déficitaire depuis plusieurs années ; que l’arrêté litigieux prive la société requérante du chiffre d’affaires qu’elle aurait normalement réalisé pendant quinze jours ; que, calculée par référence au chiffre d’affaires réalisé au mois de mai 2013 ainsi que par référence au chiffre d’affaire mensuel moyen réalisé au premier semestre 2014, cette perte représente environ 34 000 euros soit près de 5 % du chiffre d’affaire annuel de l’EURL ; que, compte tenu des charges fixes qui pèsent sur l’EURL La Corne de Bélier, de l’obligation de rémunérer ses six employés durant la période de fermeture administrative et du caractère périssable du stock de viande en sa possession, l’arrêté du 28 février 2014 entraîne des conséquences économiques difficilement réparables de nature à aggraver sa situation financière ; qu’il s’ensuit que les conséquences économiques et financières de l’arrêté litigieux caractérisent une situation d’urgence au sens de l’article L. 521-2 du code de justice administrative ; […] » (Conseil d’Etat, Juge des référés, 9 mai 2014, EURL La Corne de Bélier, n°379422, Inédit au recueil Lebon).

La liberté d’entreprendre est en effet un principe constitutionnel découlant de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (not. Cons. const. 14 mai 2012, Assoc. Temps de vie: no 2012-242 QPC § 6).

Les libertés d’entreprendre et du commerce et d’industrie « constituent des libertés fondamentales » au sens de l’article L521-2 du code de justice administrative (CE, 28 octobre 2011, SARL PCRL exploitation, 353553 ; 28 septembre 2011, ASSOCIATION LE COLOMBIER, n°346.640; 15 juillet 2010, Ministre d’Etat, Ministre de l’écologie, de l’énergie, du développement durable et de la mer, 341238 : « la liberté d’entreprendre est une liberté fondamentale au sens des dispositions de l’article L. 521-2 du code de justice administrative »).
Cette jurisprudence est constante (CE, 12 novembre 2001, Cne de Montreuil-Bellay, req. n°239840).

La liberté d’entreprendre comprend non seulement la liberté d’accéder à une profession ou à une activité économique mais également la liberté dans l’exercice de cette profession ou de cette activité. (Cons. const. 30 nov. 2012, Christian S.: no 2012-285 QPC § 7).
Si la liberté d’entreprendre n’est ni générale ni absolue de sorte qu’il est loisible au législateur de lui apporter des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, faut-il encore qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi (en ce sens, notamment : Cons. const. 12 mai 2010: no 2010-605 DC § 24).

Aux termes de l’article L8272-2 du Code du travail

« Lorsque l’autorité administrative a connaissance d’un procès-verbal relevant une infraction prévue aux 1° à 4° de l’article L. 8211-1 ou d’un rapport établi par l’un des agents de contrôle mentionnés à l’article L. 8271-1-2 constatant un manquement prévu aux mêmes 1° à 4°, elle peut, si la proportion de salariés concernés le justifie, eu égard à la répétition ou à la gravité des faits constatés, ordonner par décision motivée la fermeture de l’établissement ayant servi à commettre l’infraction, à titre temporaire et pour une durée ne pouvant excéder trois mois. Elle en avise sans délai le procureur de la République.

La mesure de fermeture temporaire est levée de plein droit en cas de décision de relaxe ou de non-lieu. Lorsqu’une fermeture administrative temporaire a été décidée par l’autorité administrative avant un jugement pénal, sa durée s’impute sur la durée de la peine complémentaire de fermeture mentionnée au 4° de l’article 131-39 du code pénal, pour une durée de cinq ans au plus des établissements ou de l’un ou de plusieurs des établissements de l’entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés, prononcée, le cas échéant, par la juridiction pénale.

La mesure de fermeture temporaire peut s’accompagner de la saisie à titre conservatoire du matériel professionnel des contrevenants.

Les modalités d’application du présent article ainsi que les conditions de sa mise en œuvre aux chantiers du bâtiment et des travaux publics sont fixées par décret en Conseil d’Etat ».

L’article R8272-8 du même code précise également que :

« Le préfet tient compte, pour déterminer la durée de fermeture d’au plus trois mois de l’établissement relevant de l’entreprise où a été constatée l’infraction conformément à l’article L. 8272-2, de la nature, du nombre, de la durée de la ou des infractions relevées, du nombre de salariés concernés ainsi que de la situation économique, sociale et financière de l’entreprise ou de l’établissement. […] ».

Dans l’arrêt précité qui concernait des faits identiques, le Conseil d’Etat a caractérisé l’existence d’une atteinte grave et disproportionnée eu égard à la faible gravité des faits (première infraction, séjour régulier, régularisation immédiate) :

« 2. Considérant qu’à l’occasion d’un contrôle effectué le 17 octobre 2013 dans le commerce de boucherie exploité par l’EURL La Corne de Bélier, l’URSSAF Ile-de-France a constaté, au sein de cet établissement, la présence d’un salarié n’ayant pas fait l’objet d’une déclaration préalable à l’embauche ; que, par un courrier du 23 décembre 2013, le procès-verbal relevant le délit de travail dissimulé a été transmis à la préfecture de police ainsi qu’au procureur de la République ; que, par un arrêté du 28 avril 2014, le préfet de police a prononcé la sanction administrative de fermeture du local exploité par cette entreprise pour une durée de quinze jours à compter de la notification de cet arrêté, qui est intervenue le 30 avril 2014 ; […]

5. Considérant que la soustraction, de la part du gérant de l’EURL requérante, à l’obligation de déclaration préalable à l’embauche d’un des quatre salariés qu’il employait à la date du contrôle effectué par l’inspecteur de l’URSSAF d’Ile de France et constatée à cette occasion, est de nature à justifier le prononcé, sur le fondement des dispositions citées au point 4, de la sanction administrative de fermeture provisoire du local que cette société exploite ;

6. Considérant toutefois qu’il résulte de l’instruction que le délit de travail dissimulé, qui concerne un salarié par ailleurs en situation régulière au regard de la réglementation du séjour et du travail des étrangers, est la première infraction relevée à l’encontre de la société requérante depuis sa création en 2009 ; qu’elle ne concerne qu’un quart des salariés qu’elle employait à la date à laquelle elle a été constatée ; que, dans ces conditions, et eu égard tant à la situation financière de la requérante qu’au caractère immédiatement exécutoire de la sanction, la fermeture de l’établissement exploité par l’EURL La Corne de Bélier est entachée de disproportion manifeste en tant qu’elle excède la durée d’une semaine ;» (Conseil d’Etat, Juge des référés, 9 mai 2014, EURL La Corne de Bélier, n°379422, Inédit au recueil Lebon).

Il est donc essentiel d’être conseillé et assisté dans le cadre de cette procédure d’urgence, afin de convaincre de la disproportion de la sanction envisagée.

Sanctions pénales :

En cas de poursuites pénales diligentées par le Procureur de la République, la personne qui a recours au travail dissimulé directement ou par personne interposée, peut être condamnée jusqu’à 3 ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende (225 000 € s’il s’agit d’une personne morale).

Si le travail dissimulé concerne un mineur, la sanction peut être portée jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 € d’amende.

Le prêt de main-d’œuvre illicite et le marchandage sont sanctionnés jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende (150 000 € pour une personne morale).

Le fait d’employer irrégulièrement des personnes étrangères expose le dirigeant à 5 ans d’emprisonnement et 15 000 € d’amende par personne, portée à 75 000 € pour une personne morale (10 ans d’emprisonnement et 100 000 € d’amende pour infraction en bande organisée).

En outre, les peines complémentaires suivantes sont encourues : interdiction d’exercer certaines activités professionnelles, exclusion des marchés publics, affichage du jugement dans les journaux, diffusion de la décision pénale dans une liste noire sur le site internet du ministère du travail.

Attention, seule une relaxe devant le Tribunal Correctionnel permet de faire retirer les lourdes sanctions administratives ci-dessus rappelées, d’où l’importance d’être assisté et conseillé tout au long de la procédure pénale, de l’audition devant les services de police à l’audience devant le Tribunal.